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Les tendances dans le secteur de la fabrication en 2022 : la guerre des plateformes numériques, la course aux rachats et la durabilité

11-01-2022

Après avoir digéré les multiples dindes et bûches, et remercié poliment tout le monde pour tous les beaux cadeaux, originaux ou non, qui se trouvaient sous le sapin de Noël, le temps est à présent venu de nous intéresser aux tendances du secteur de la fabrication qui nous concernent pour 2022 et au-delà. Pour nous faire découvrir des perspectives fort intéressantes dans ce contexte, il n'y a pas de meilleurs partenaires que Franc Coenen, l'éditeur de 3D Print Magazine, Solutions Magazine et Made In Europe, et Kris Binon, directeur de Flam3D, la plateforme indépendante de connaissances et de réseautage, qui fait figure de pionnière dans le Benelux pour tous les acteurs de la chaîne de valeur de la fabrication additive. Tous deux suivent en effet de très près tout ce qui se passe dans le secteur au quotidien, et savent donc bien comment les nouvelles technologies de fabrication bouleversent les modèles de production mondiaux de manière discrète et pourtant très radicale.

 

 

2022 sera donc une année où le patchwork d'acteurs de renom et de nouveaux venus se consolidera, où les normes et les plateformes importantes pour l'ensemble de la chaîne de valeur atteindront une masse critique (qu'on le veuille ou non), et où la durabilité et le transfert de connaissances deviendront des priorités absolues.

 

Suivi intelligent des commandes et de la production grâce à des plateformes mondiales de fabrication et d'approvisionnement, consolidation et durabilité

 

 

Franc Coenen ouvre notre entretien en prédisant que les plateformes de fabrication axées sur l'IA et le cloud intégreront de plus en plus la demande, la production, l'offre, la qualité, la conception et le développement. Nous allons de ce fait examiner ces plateformes plus en détail. Au niveau des plateformes dédiées à la fabrication additive, nous avons assisté à des acquisitions et à des fusions au cours de l'année dernière. Ce marché est donc en train de se consolider. Des fournisseurs de services complets de plus grande envergure sont en train de voir le jour, et nous espérons qu'ils ne formeront pas un oligopole. Materialise a récemment acheté le spécialiste MES de l'impression 3D Link3D pour 33,5 millions de dollars. 3D Systems a quant à elle récemment déboursé 180 millions de dollars pour acquérir la jeune pousse belge Oqton. Et avec son introduction en bourse, Shapeways a levé des centaines de millions de dollars, principalement destinés à être investis dans sa propre plateforme. Cette opération a pour but de générer 400 millions de dollars de chiffre d'affaires d'ici trois ans. Le commentaire du CEO de Shapeways, Greg Kress, à cet égard est très intéressant. Il constate en effet qu'à peine 6 % des entreprises manufacturières mondiales ont été numérisées. La grande majorité de celles qui n'ont pas encore franchi le pas sont des PME qui ne disposent pas des ressources nécessaires. Les nouveaux Google et Amazon de l'industrie manufacturière sautent donc sur cette occasion en or.

 

Si nous examinons l'application de la fabrication additive, nous constatons qu'il se passe beaucoup de choses dans les coulisses aux États-Unis et en Chine pour aller plus loin dans les acquisitions en évoluant vers des systèmes et des usines entièrement intégrés. L'entreprise chinoise Falcon Tech se prépare à mettre en service 50 imprimantes à métaux et à lancer une usine intelligente entièrement dédiée à la fabrication additive. Et plus près de chez nous, Wilting Components investit elle aussi dans un département entièrement dédié à la fabrication additive. Coenen est convaincu que la pression exercée sur les entreprises manufacturières du Benelux pour qu'elles investissent dans la fabrication additive a désormais atteint son apogée. Bientôt, il ne sera même plus envisageable de rester à la traîne, et la priorité absolue sera de rattraper le retard accumulé. Enfin, il affirme que là où la décennie précédente avait propagé le concept de l'Industrie 4.0, la décennie actuelle, contre toute attente, fera de la durabilité le point de mire partout.

 

La promotion du développement durable peut être un frein à l'innovation

 

 

Coenen a des réserves sur ce dernier point. "Depuis 2011, l'accent a constamment été mis sur l'Industrie 4.0. Les entreprises manufacturières, les universités et les centres de recherche travaillant sur des innovations dans le domaine du traitement mécanique pur et dur ont soudainement eu plus de mal à accéder aux primes d'innovation lorsque le projet n'était pas assez axé sur l'Industrie 4.0. Nous nous retrouvons aujourd'hui face à une menace de même nature, avec des projets pilotes d'entreprises manufacturières qui n'obtiennent pas le label de durabilité (de peu) et qui ne reçoivent donc aucun budget pour l'innovation. Et ce n'est que plus tard qu'on se rend compte qu'il s'agit véritablement d'occasions manquées pour l'ensemble du secteur."

 

Sur ce même point, Binon poursuit : "Dans de nombreux cas, tout cela revient à mettre la charrue avant les bœufs. Les jeunes pousses, comme de nombreuses entreprises occidentales, sont financièrement bloquées dans la concrétisation de leurs ambitions si le robinet est fermé du fait qu'il n'est pas toujours possible de jouer la carte de la durabilité. Les grands acteurs du marché américain ne rechigneront pas à écologiser leur production pour quelques millions de dollars supplémentaires. Mais le secteur a entre-temps compris. En 2019, l'AMGTA (Additive Manufacturing Green Trade Association) a été fondée, promouvant la fabrication additive au niveau mondial comme la technologie de fabrication durable par excellence. Récemment, l'AMGTA a même explicitement ajusté ses communications en ligne pour vendre encore mieux sa mission durable."

 

Consolider les plateformes pour atteindre une masse critique mondiale

 

Nous allons nous pencher un instant sur la guerre des plateformes qui se veulent toutes les plus performantes. Coenen précise qu'il distingue 3 niveaux de plateformes. Le premier type est la plateforme où l'on fait des affaires, où l'on remet des devis et où l'on exécute des commandes (Tech2B, Xometry, 3DHubs). C'est là que chaque entreprise devrait envisager d'urgence de rejoindre des plateformes de commande numérique mondiales aussi efficaces. Sur ces plateformes, les devis sont générés en ligne grâce à des algorithmes et à l'apprentissage automatique, de manière instantanée. Ce type de plateforme, qui n'est pas sans rappeler le modèle de Booking.com, assure la transparence de la capacité disponible. En combinaison avec l'automatisation, ces plateformes permettent aux entreprises manufacturières de gonfler leurs carnets de commandes. Cela crée une pression sur les prix, car les inefficacités sont éliminées du marché. Elles exigent toutefois aussi de nouvelles compétences de la part des entreprises manufacturières, puisque le marketing et les ventes se retrouvent sur Internet.

 

Le deuxième niveau de plateforme est plutôt celui des plateformes de suivi de la production, où notamment les systèmes MES et PLM surveillent le suivi des commandes, la production, la qualité, la chaîne d'approvisionnement, l'état des machines, les stocks, etc. dans un environnement IdO. Il s'agit en quelque sorte de plateformes d'usines entièrement connectées et intégrées. Pour être en mesure de déployer ces plateformes de manière universelle, indépendamment des marques et des technologies, les fabricants d'imprimantes sont obligés de donner accès aux données de leurs machines. Des géants comme Autodesk, Altair, Siemens et Materialise, qui développent des logiciels d'ingénierie, mais aussi, à l'inverse, les fabricants d'imprimantes 3D eux-mêmes, comme 3D Systems, créent des plateformes en acquérant des acteurs de niche afin de pouvoir offrir des solutions complètes. La meilleure preuve que la fabrication additive est peu à peu acceptée est peut-être celle des entreprises manufacturières qui intègrent la technologie dans des flux de production existants.

 

Le troisième type de plateforme se situe du côté de la conception, mais aussi du côté de la plateforme précédente, celle assurant le suivi de la production. Le développement de produits n'est plus un processus linéaire. Alors que les ingénieurs concepteurs travaillent encore sur leurs projets, les spécialistes du marketing utilisent déjà les dessins en 3D pour recueillir des avis. Et les acheteurs se concertent déjà avec les fabricants. Un peu comme sur les plateformes de réseaux sociaux, les parties prenantes partagent des données via la plateforme, ce qui permet de raccourcir les délais de mise sur le marché. En faisant tout dans le cloud, chaque partie prenante a accès aux données actuelles et tous les outils sont mis à disposition – à la demande ou en payant pour leur utilisation. 3DExperience de Dassault Systèmes illustre parfaitement ce principe. Avec leur Marketplace, les Français veulent aussi servir le côté commercial (le premier type de plateforme).

 

La plus grande inquiétude des deux ici est que, tout comme pour les fournisseurs de services cloud, nous évoluons vers une poignée de grands acteurs (AWS, Microsoft, Alphabet, Alibaba), qui se partagent le marché entre eux. Une grande partie du savoir-faire européen spécifique et de la croissance locale sera ainsi perdue.

 

Le matching basé sur l'IA, l'anonymat, mais aussi de nombreuses opportunités pour les acteurs de niche possédant un certain savoir-faire

 

Les plateformes d'achat sont en plein essor. Il s'agit soit de plateformes d'achat rattachées à leurs propres sites de production (Protolabs), soit de plateformes disposant d'une vaste base de données de fournisseurs spécifiques (Fast Radius aux États-Unis ou Tech2B au Benelux), où elles procèdent au matching en fonction des critères de conception, de matériaux et de livraison du client, via des algorithmes, afin de déterminer qui est en mesure de réaliser le travail. Les problèmes actuels liés à la chaîne d'approvisionnement vont accélérer le choix du client pour le match non seulement le moins cher, mais aussi le plus rapide.

 

 

Binon apporte quelques nuances supplémentaires. "Des entreprises manufacturières comme Melotte et Wilting, par exemple, proposent un usinage hybride et des solutions plus complexes. Elles sont actives dans plusieurs opérations mécaniques classiques ainsi que dans la fabrication additive. Pour ce qui est de l'usinage de base et des critères de matériaux et de finition standard qui vont de pair, le seuil d'accès d'un client via un fournisseur de plateforme anonyme est peu élevé. Dans le domaine de la fabrication additive, ces normes ne sont pas encore si universellement connues, ce qui signifie que pour des conceptions et des critères de matériaux plus complexes, il ne vous sera pas facile de confier votre commande à un fournisseur anonyme. D'après Binon, il existe donc un avenir à la fois pour les entreprises manufacturières qui comptent sur des commandes standard via une plateforme d'approvisionnement et pour les fournisseurs de technologies hybrides disposant d'un parc de machines spécialisé et diversifié. Bien entendu, tout se résume à savoir dans quelle technologie et quel créneau vous allez investir en tant que fournisseur, en espérant que votre éventail de compétences vous permettra de conserver vos marges."

 

Le coût du post-traitement et du savoir-faire technique<

 

Nous posons donc la question logique suivante... Qu'en est-il de tout le post-traitement après l'impression ? Le post-traitement constitue toujours un coût important après l'impression 3D. Y aura-t-il des solutions technologiques à ce niveau ? Binon laisse entendre que toutes les technologies et la robotisation possibles dans ce domaine existent déjà, mais que le casse-tête doit encore être résolu. Coenen se concentre ici sur le volet ingénierie. Dans de nombreuses entreprises, le savoir-faire en matière de conception axée sur la fabrication additive reste trop limité, ce qui signifie que lors de la conception de la pièce à imprimer, on ne tient pas suffisamment compte du post-traitement et des déchets résiduels. Toutefois, avec une bonne dose de savoir-faire en matière de conception pour la fabrication additive, vous pouvez aller beaucoup plus loin : l'impression 3D peut notamment être rentabilisée en réduisant les coûts d'assemblage et de stockage. Coenen s'est récemment entretenu avec une entreprise manufacturière qui a eu affaire à un client qui désirait faire imprimer une pièce complexe composée à l'origine de 25 pièces. Les pièces ont toutes été traitées individuellement et finalement assemblées en une seule pièce. L'assemblage d'une telle pièce a nécessité 200 heures de travail en salle blanche. Cette pièce est à présent imprimée en une seule fois, ce qui permet d'éliminer le coût d'assemblage. De plus, la précision finale de l'impression est supérieure à celle de la version assemblée, et il est inutile de prévoir une place pour toutes ces pièces dans l'entrepôt. Ce qu'il faut retenir, poursuit Coenen, c'est que le savoir-faire en matière d'ingénierie peut coûter un peu d'argent, mais c'est aussi lui qui permet à l'entreprise manufacturière de se distinguer. Si, en tant que fournisseur, vous disposez de ce savoir-faire en interne, vous pouvez créer une valeur ajoutée supplémentaire pour vos clients. Si vous vous limitez aux travaux d'impression standards, vous serez confronté à des prix et des marges plus faibles.

 

Chacun entame la nouvelle année avec ses propres projets

 

 

Dans un souci d'exhaustivité, nous allons également jeter un coup d'œil au courrier personnel du Nouvel An de nos deux interlocuteurs. Lorsqu'on lui demande quelles sont les ambitions du désormais plus grand cluster de réseautage consacré à la fabrication additive dans le Benelux, la réponse de Binon est plutôt nuancée : "Il ne nous manque que peu d'acteurs pertinents dans la chaîne de valeur de la fabrication additive. La croissance, dans la mesure où elle apporte une valeur ajoutée à notre communauté, est toujours la bienvenue. Peut-être pourrions-nous encore accueillir une vingtaine d'acteurs supplémentaires. D'autre part, les clients industriels finaux qui ont des questions ou des projets pilotes sont toujours les bienvenus gratuitement – notre objectif étant de répondre à leurs questions sur la fabrication additive grâce au savoir-faire de notre communauté. Comme dans tout marché émergent, nous assistons souvent à la naissance de nouveaux acteurs de petite envergure et de jeunes pousses. Certains d'entre eux se développent, tandis que d'autres disparaissent ou sont rachetés. Du côté des utilisateurs, le nombre d'entreprises manufacturières qui intègrent la technologie d'impression 3D augmente de façon spectaculaire. Les entreprises qui font cela en parallèle à leurs activités principales ne font pas vraiment partie de notre groupe cible de membres, mais elles appartiennent à notre groupe cible de personnes à qui nous voulons transmettre un certain savoir-faire." Coenen intervient en indiquant que l'adaptation de la technologie est si rapide que la fabrication additive est en train de devenir une véritable partie intégrante de la technologie de transformation et d'assemblage établie (moulage par injection, usinage, tôlerie, soudage, etc.) et a dépassé la phase où il ne s'agissait que d'un phénomène de mode. À force d'attendre, de nombreuses PME du Benelux se font toutefois distancer par le peloton de tête.

 

L'ambition de Binon est double : "Réaliser une alliance stable et alignée avec tous les acteurs de la chaîne de valeur, afin de pousser la technologie aussi efficacement que possible vers l'utilisateur et le client final, et en plus de cela, transmettre un savoir-faire meilleur et plus complet aux étudiants dans le domaine de la technologie. Les connaissances standards, prêtes et complètes, publiées (qui font totalement défaut dans le manuel STEM destiné aux élèves), n'existent pratiquement pas. Nous sommes en pleine discussion avec les éditeurs et les créateurs de contenu pour trouver une solution efficace à ce problème."

 

Le souhait de Coenen pour la nouvelle année est premièrement que la communauté des transformateurs de métaux commence enfin à réaliser que la fabrication additive avec des plastiques (investissement à partir de 30.000 euros dans un système SLS ou une imprimante FDM décente) peut être au moins aussi innovante, prometteuse et stimulante que l'impressionnante, complexe et plus coûteuse impression 3D métal (les investissements dans les machines permettant de réaliser des travaux de fabrication additive et l'infrastructure nécessaire grimpent rapidement à plus de 1 million d'euros). On peut encore dire et écrire beaucoup de choses sur la façon dont les composants métalliques peuvent aujourd'hui être remplacés par des composants en plastique moins chers, mais offrant une durabilité et une qualité au moins aussi intéressantes. Il s'agit là aussi d'une forme de conception et de production innovante et créative.

 

Deuxièmement, Coenen espère que l'Europe pourra éviter que tout le savoir-faire et les ambitions au niveau de l'impression 3D ne soient victimes de la course aux rachats des entreprises technologiques américaines. Sa plus grande crainte est que les projets développés ici grâce à notre savoir-faire se volatilisent pour de bon et que la valeur ajoutée soit créée ailleurs. Prenez par exemple le cas de la start-up belge Aerosint, qui a été absorbée par Desktop Metal. La technologie de fabrication additive innovante belge a ainsi quitté notre pays pour finalement se retrouver ailleurs.

 

Il n'hésite pas à comparer cette situation à celle d'ASML. ASML compte non seulement 16.000 collaborateurs à Veldhoven, mais aussi un écosystème de plus de 50.000 collaborateurs qui participent directement ou indirectement à l'approvisionnement de l'entreprise. La survie de cet écosystème dépend du développement des connaissances d'ASML dans cette région. "Si nous parvenons à déployer notre savoir-faire en matière de fabrication additive depuis notre région dans le reste du monde, nous pourrons construire un écosystème tout aussi florissant ici." Les investissements en R&D profiteront alors à tous les contribuables de la région.

 

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