Auteur: Karl D’haveloose
Les usines de fabrication dans le noir ont peut-être un léger côté orwellien et certains trouveront que leur nom donne la chair de poule, mais il s'agit en réalité tout simplement d'usines entièrement autonomes, où les robots constituent l'essentiel de la main-d'œuvre et où des flux de production numériques permettent d'assurer une production 24 h / 24 et 7 j / 7. Sommes-nous encore loin du but ? Ou y a-t-il encore des réserves ? En compagnie de Christian Heck, chef de produit technique chez Siemens Digital Industries Software, nous allons passer en revue quelques idées reçues et discuter d'un cas d'utilisation basé sur la mise en œuvre de cette technologie à Fürth.
Les primo-adoptants des concepts de fabrication dans le noir apprennent aujourd'hui à faire évoluer la production autonome. Et la plateforme Xcelerator de Siemens illustre la manière dont cette approche aide les fabricants à aller de l'avant.
À l'heure où les entreprises manufacturières réfléchissent à ce que sera 'l'usine du futur', il semble probable que la production autonome dans une usine 'dans le noir' se généralisera dans l'ensemble du secteur industriel. Le concept d'usine 'dans le noir', où les besoins en activité humaine sont si minimes que l'usine peut tourner dans l'obscurité, est une sorte de licorne, dans le sens où il s'agit d'une idée formidable, mais qui ne deviendra probablement pas une réalité de sitôt.
Cela étant dit... les technologies numériques et d'automatisation nécessaires pour parvenir à un résultat concret commencent à arriver à maturité et les entreprises de tous les secteurs doivent relever le défi consistant à fabriquer des produits de manière plus efficace, plus rapide, plus économique et plus durable, et ce en dépit des difficultés liées à la chaîne d'approvisionnement et à la pénurie de main d'œuvre. Une usine dans le noir pourrait donc non seulement contribuer à une plus grande durabilité, mais aussi à une meilleure productivité.
Les usines 'claires-obscures' n'existent pas encore
La fabrication dans le noir constitue une perspective ambitieuse. Traditionnellement, le type de production qui se prête à ce type d'usine est la simple production en série sur une ligne fixe. Les produits devenant de plus en plus complexes et la personnalisation/configuration de masse entraînant une augmentation du nombre de variantes de produits potentielles, la mise en œuvre d'une usine tournant dans le noir complet semble de plus en plus relever de l'utopie et être hors de portée. Si l'automatisation et les technologies de fabrication numérique peuvent contribuer à faire de cette utopie une réalité, les changements doivent être mis en œuvre de façon progressive pour pouvoir en récolter les fruits (en particulier dans les usines Brownfield où d'importants investissements en capital ont déjà été réalisés).
Les usines à éclairage clairsemé deviennent de plus en plus viables sur le plan économique
Selon une étude réalisée par Gartner, 60 % des fabricants auront plus de deux processus 'dans le noir' total dans au moins une de leurs usines d'ici à 2025. La fabrication dans le noir ne doit toutefois pas nécessairement être envisagée dans une optique de 'tout ou rien'. Au contraire, les fabricants peuvent identifier des processus ou des zones spécifiques au sein d'une usine où la production autonome est à la fois réalisable et utile. Cette mise en œuvre progressive de l'approche de la fabrication dans le noir, communément appelée 'lights-sparse implementation' dans le jargon anglophone (que l'on pourrait traduire en français par la mise en œuvre d'usines à éclairage
Illustration 1 : Essais réalisés en vue de mettre en œuvre un système de production autonome à Fürth
Les logiciels de gestion des opérations de fabrication sont la clé de la fabrication dans le noir
Le développement et la maturité d'un grand nombre de machines et de robots automatisés ainsi que de logiciels de gestion des opérations de fabrication (en anglais : Manufacturing Operations Management ou MOM) complets et éprouvés sont la clé de la création de ces cellules de fabrication dans le noir. Les nouvelles avancées dans le domaine des logiciels de gestion des opérations de fabrication permettent d'orchestrer à la perfection des systèmes de fabrication autonomes grâce à deux capacités essentielles.
La première est la capacité à faire correspondre automatiquement les exigences opérationnelles aux capacités de l'équipement. Les logiciels doivent être en mesure d'identifier automatiquement les ressources de production disponibles lors de l'introduction d'un nouveau produit, mais aussi lors d'un événement imprévu dans l'atelier, comme par exemple une panne matérielle. Deuxièmement, l'exécution de la production, l'approvisionnement en matériel, la chaîne d'approvisionnement et la planification doivent être intégrés en fonction des événements, permettant ainsi de garantir une exécution sans faille du processus de production, mais aussi une optimisation continue et une gestion automatisée des interruptions potentielles.
Outre ces capacités primordiales, le logiciel MOM offre également une nouvelle expérience à l'utilisateur. En effet, même si nous parlons ici de fabrication dans le noir, le personnel continuera à jouer un rôle important dans l'avenir de la fabrication. Cette nouvelle expérience utilisateur contextualise les informations provenant de différentes sources pour permettre la prise de décision à distance, qui peut aller de la reprogrammation à l'utilisation de stratégies alternatives pour les fournisseurs, en passant par la hiérarchisation des priorités des commandes.
Une nouvelle approche de la planification de la production et de la conception des machines
Les concepts de fabrication dans le noir exigent une relation plus flexible entre le produit, le processus et les ressources que celle qui existe dans la fabrication traditionnelle. En conséquence, les ingénieurs de production devront travailler de manière plus abstraite qu'auparavant, et la manière dont ils définissent les contraintes deviendra cruciale pour pouvoir exploiter tout le potentiel d'un système de production autonome. Il est donc d'autant plus important d'utiliser la simulation dès le début du travail de conception afin de favoriser la génération et la validation automatiques de scénarios, ce qui est essentiel pour une implémentation réussie. Cette nouvelle approche permet au logiciel d'orchestration de gagner en flexibilité et en liberté dans la prise de ses propres décisions et d'atteindre le niveau d'autonomie requis pour pouvoir fabriquer dans le noir.
Illustration 2 : Le logiciel de gestion des opérations de fabrication (Manufacturing Operations Software ou MOM) est un élément essentiel de la production autonome.
La planification stratégique du personnel
Lorsque les fabricants commenceront à mettre en œuvre les concepts de fabrication dans le noir, les compétences requises au niveau du personnel changeront de trois manières. Premièrement, en plus de leurs connaissances dans leur domaine et en matière de fabrication, les ingénieurs de planification devront acquérir les connaissances nécessaires pour modéliser les contraintes et les dépendances abstraites et utiliser des outils de simulation pour la validation dans le cadre de leur travail quotidien.
Deuxièmement, les opérateurs des ateliers devront connaître les toutes dernières technologies d'automatisation afin de pouvoir utiliser des machines autonomes en toute sécurité et d'être en mesure d'étendre leurs capacités. Les fournisseurs de machines et de solutions doivent également passer de systèmes réservés aux experts, qui nécessitent des connaissances spécifiques, à des interfaces conviviales, qui permettent d'adapter et d'étendre rapidement les capacités d'une machine.
Il peut par exemple être nécessaire d'adapter les robots, de modifier les cartes des itinéraires des VGA (véhicules à guidage automatique), de mettre à jour les exigences en matière de matériaux pour les nouveaux produits, et bien d'autres choses encore. En utilisant les technologies de l'information les plus récentes et des concepts de programmation low-code pour diverses tâches liées à l'automatisation, l'ensemble du personnel pourra contribuer à une transition réussie.
Troisièmement, l'enrichissement des fonctions et la formation continue aideront les fabricants à rester compétitifs et rentables sur la scène économique mondiale à l'heure où ils sont confrontés au vieillissement du personnel et à la pénurie de main-d'œuvre qualifiée.
Les principales leçons tirées des essais réalisés par Siemens EWF Fürth – vous ne pouvez pas vous débrouiller tout seul
L'expérience du personnel sur le terrain est cruciale et doit être enregistrée. Il est important d'impliquer les activités sur le lieu de travail à un stade précoce pour pouvoir numériser les 'connaissances institutionnelles', y compris les informations telles que les contraintes spécifiques, les meilleures pratiques, les scénarios de défaillance typiques, etc.
Tout commence par la transparence au niveau des matériaux et les processus logistiques au sein de l'usine, qui requièrent une connaissance parfaite de la gestion des matériaux jusqu'à la mise en service et au conditionnement des boîtes. Le transport automatisé des matériaux, y compris le chargement et le déchargement, est généralement plus lent, mais une planification avancée optimisée peut compenser cet inconvénient et permettre au système d'être rentable.
Un système autonome nécessite une interface machine abstraite, basée sur une machine à états de capacités. Il est de ce fait important d'impliquer les fournisseurs de machines à un stade précoce du processus afin de garantir une interface uniforme dans l'atelier. Un tel projet ne peut donc pas être réalisé sans impliquer l'ensemble de vos fournisseurs les plus importants.
Le portefeuille Xcelerator de Siemens a déjà mis en œuvre des fonctions fondamentales pour aider les clients dans leurs projets individuels, en se basant sur les leçons tirées des essais réalisés dans l'usine de Fürth.
Les avantages de la production autonome
Pour la plupart des fabricants qui s'intéressent aux concepts de production autonome, la principale motivation est la nécessité d'accroître la productivité tout en réduisant les coûts de main-d'œuvre, et ce malgré que cela implique le risque de ne pas disposer des compétences requises au bon moment et au bon endroit pour répondre à l'évolution de la demande du marché.
Si les concepts de production autonome permettent de relever ce défi, ce n'est pas là leur seul intérêt. La capacité à faire correspondre automatiquement tout processus de fabrication de produits nouveaux ou existants avec l'équipement disponible (et à les valider au moyen de ce même équipement), en tenant compte des exigences du processus, peut permettre aux fabricants d'atteindre différents indicateurs clés de performance, tels qu'un délai de mise sur le marché plus court, une plus grande durabilité et une meilleure résilience.
Ils offrent également la possibilité de fabriquer des produits dans différents systèmes et usines de production afin de soutenir la production locale et durable, ainsi qu'un moyen de compenser les interruptions dans la chaîne d'approvisionnement.
Cas d'utilisation : essai des concepts de fabrication dans le noir dans l'usine de Fürth
En tant que fournisseur de logiciels et entreprise manufacturière, Siemens a récemment mis en œuvre un processus autonome de construction de boîtiers électroniques impliquant un poste de découpe laser, un poste de tests PXI, un poste d'assemblage de boîtiers et un poste d'assemblage final. Tous les transports de matériel dans l'atelier modulaire ont été effectués à l'aide de véhicules à guidage automatique (VGA). Chaque poste dispose de ses propres stations d'accueil pour le chargement et le déchargement des supports de boîtes. Les tâches de chargement et d'assemblage des machines sont effectuées à l'aide de robots universels dotés de préhenseurs personnalisés (ventouses, pinces, etc.).
