Auteur: Karl D’haveloose
Cette fois-ci, c'est en compagnie de Timon Dejonghe (TD) que nous sirotons notre expresso. Le directeur général de Meditech porte un T-shirt très branché dans le showroom tout aussi flashy de Meditech, qui est dissimulé derrière l'impressionnante façade opaque à l'aspect anthracite qui doit bien faire plus de 100 mètres de long, le long de la Lodewijk de Raetlaan. Meditech a clairement des choses à cacher... Et elle a d'ailleurs bien raison de les cacher ! En discutant avec moi, TD nous confie quelques informations, mais, comme convenu, avec modération.
Meditech est la spin-off high-tech du spécialiste du mobilier de pharmacie d'Izegem, qui existe depuis maintenant 100 ans. Studio Clement (anciennement Clement Pharma), qui était à l'origine un fabricant de pianos et dont la direction est aujourd'hui assurée par la troisième génération de l'entreprise familiale, a commencé à concevoir et à fabriquer des meubles sur mesure sur la base de demandes émanant directement des pharmaciens. La deuxième et la troisième génération ont vu dans ce segment très spécifique un potentiel croissant et ont ainsi fait de l'entreprise un partenaire incontournable pour la réalisation de projets complets dans cette niche. L'un des principaux catalyseurs de la croissance de l'entreprise a été l'accent qui a été mis sur les innovations dans le domaine des tiroirs de pharmacie, où le besoin d'optimisation des stocks et d'automatisation s'est fait toujours plus pressant.
Depuis début 2000, Jan Clement (JC), descendant de la troisième génération, a décidé de se concentrer encore davantage sur la nécessité d'automatiser et de numériser les activités pharmaceutiques (gestion des stocks, étiquetage, robotisation…). À l'origine, Jan a surtout cherché à collaborer avec des tiers dans le cadre de projets de cocréation, mais il s'est vite rendu compte qu'il valait mieux développer les connaissances nécessaires en interne.
Et c'est donc avec cet objectif en tête que Jan a commencé à constituer un groupe de personnes disposant du savoir-faire technologique nécessaire au sein de sa propre entreprise. TD, par exemple, a travaillé pour Alcatel Micro Electronics. Il est ingénieur en électromécanique et en automatisation, mais aussi titulaire d'un diplôme d'architecte.
Le déclic qui s'est produit entre Jan, architecte/entrepreneur, et Timon, architecte/ingénieur, a permis d'accélérer la transition vers la robotique. TD précise : "Notre collaboration a permis d'accélérer le développement de Meditech, du fait que nous avons choisi de travailler en interne sur l'ingénierie électromécanique et logicielle, sur la fabrication et l'assemblage, ainsi que sur les services d'installation et d'entretien." Le premier robot a été vendu dès la première année. Et aujourd'hui, 17 ans plus tard, l'entreprise en vend plus de 400 par an.
Ceci n’est pas un Kardex (First Expired, First Out)
La synergie entre Clement, fournisseur de solutions complètes d'aménagement de pharmacies, et l'automatisation est extraordinaire. Aujourd'hui, la robotique fait partie intégrante de tout projet de pharmacie digne de ce nom. J'essaie d'asticoter gentiment TD en lui demandant s'il existe un système d'automatisation des stocks similaire, et en citant l'exemple de Kardex, comme si de rien n'était.
TD : "La seule chose que Kardex et Meditech ont en commun est qu'il s'agit d'une solution à un problème de stockage qui consiste à recourir à l'automatisation. Et la comparaison s'arrête là ! Meditech travaille avec ce qui peut sembler être un système chaotique, où la superficie disponible est utilisée de manière astucieuse et où chaque format de boîte (allant de quelques centimètres cubes aux dimensions d'une petite boîte à chaussures) est stocké individuellement de manière optimale, sur la base d'un algorithme complexe qui prend en compte tous les paramètres possibles, comme par exemple la fréquence des commandes, la durée de stockage, etc. C'est un peu comme un système de type 'Tetris', où grands et petits formats s'entremêlent pour au final former une masse hétérogène parfaitement organisée."
"En moyenne, une pharmacie propose entre 8.000 et 15.000 références, avec en général 2 boîtes de chaque référence, poursuit TD. La rotation de ces produits étant très importante, des bacs contenant différents types de boîtes arrivent tous les jours via le service de livraison. Il faut donc sortir toutes ces boîtes, les trier en fonction de la date de péremption, du dosage ou autre, puis les ranger dans des tiroirs. Comme vous pouvez aisément l'imaginer, avec toutes ces références, ces dates, ces dosages et ces formats, on se retrouve vite face à un véritable casse-tête à la fois compliqué et rébarbatif, qui demande beaucoup de temps mais aussi beaucoup de concentration et d'argent." Les boîtes qui arrivent sont mesurées, triées et envoyées par le robot dans le bon tiroir de stockage.
Résultat : l'entreprise vend aujourd'hui 400 robots par an (97 % à l'exportation) dans plus de 28 pays du monde entier. Au départ, le marché principal était celui des pharmacies. Mais aujourd'hui, les pharmacies d'hôpitaux, mais aussi l'industrie, la distribution de produits de luxe et les fabricants de cosmétiques font également partie de la clientèle de l'entreprise.
Le verre est-il à moitié plein ou à moitié vide ? Compétitivité et productivité…
Nous abordons brièvement la question du paysage concurrentiel et des défis à relever. "Dans le monde des affaires tel qu'il est aujourd'hui, on entend beaucoup d'entreprises se plaindre", lance TD. "Et c'est normal, car il se passe beaucoup de choses à leur niveau."
À l'heure actuelle, Meditech n'est pas inquiétée par ses concurrents asiatiques. Cinq acteurs se partagent le marché, l'entreprise d'Izegem se positionnant à la deuxième place, avec 2.800 machines vendues à ce jour. C'est surtout le marché européen qu'il faut se partager avec les Allemands et les Italiens. Cela étant, dans un certain nombre de pays européens ainsi qu'en Australie, le fabricant de robots est le numéro un. Les pays asiatiques les plus riches, tels que la Malaisie et Singapour, et l'Amérique du Sud sont des marchés en pleine croissance. Chaque marché a ses propres spécificités. Les produits pharmaceutiques européens sont par exemple plus souvent conditionnés dans des boîtes, alors que dans des pays comme les États-Unis, on utilise encore très souvent des flacons. L'entreprise développe donc aussi des solutions technologiques pour ces critères de marché spécifiques.
Bien que Meditech conserve un certain savoir-faire de base en interne, notamment en matière d'ingénierie et d'innovation, on trouve dans son environnement un vaste écosystème de partenaires externes. De nombreux fournisseurs de métaux et de plastiques, mais aussi des prestataires de services, participent en effet à la construction de leur écosystème. Qu'il s'agisse d'un électricien local qui déploie son équipe ici de manière permanente ou d'un tôlier local, chacun apporte sa contribution et se voit attribuer une part du gâteau. La hausse des salaires en Europe occidentale a toutefois eu pour conséquence que ces fournisseurs locaux sont rapidement devenus très chers par rapport à la concurrence.
Un des grands défis auxquels TD doit faire face est l'évolution de la conception de l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée qu'ont certains de ses employés. On constate que les jeunes débutants ont souvent des attentes différentes de celles des générations précédentes en ce qui concerne le rythme de travail et la flexibilité. Ils attachent une grande importance à l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée et sont en quête d'un environnement de travail dans lequel ils peuvent s'épanouir et se développer. Trouver un équilibre entre ces deux aspects est un véritable défi, mais c'est aussi une occasion de développer une coopération durable.
Dans une entreprise à structure horizontale comptant plus de 140 collaborateurs, chacun doit être à même de communiquer, de collaborer, mais aussi de cultiver un certain esprit d'entreprise au niveau personnel. On peut donc dire que les entrepreneurs d'aujourd'hui sont confrontés à des coûts de main-d'œuvre plus élevés, qui ne s'accompagnent pas toujours de la croissance nécessaire sur le plan de la productivité, ce qui au fil du temps ne fera qu'éroder le niveau de compétitivité. Pour l'instant, Meditech peut justifier ses marges par des innovations de très haut niveau et par son excellence dans des niches très particulières, mais comme c'est le cas pour de nombreux entrepreneurs, il faut savoir communiquer tout cela très poliment lorsque l'on s'adresse aux personnes travaillant Rue de la Loi.
Designed 4 Customer Experience: Android Pears or IOS Apples ?
Meditech souhaite se démarquer dès la phase de conception en partant de l'ADN de l'utilisateur final. TD clarifie ce point : "Le pharmacien est une personne qui a suivi une formation médicale axée sur les soins et l'administration de médicaments aux clients ou aux patients. Il ne s'agit donc pas d'un geek féru de technologie qui souhaite tout personnaliser, apporter de petites modifications et expérimenter comme on peut le faire avec un smartphone tournant sous Android. Le pharmacien a donc plutôt le profil d'un utilisateur d'Iphone. L'approche de l'Iphone est en effet basée sur un minimum de gadgets et de complexité, privilégiant la performance et la facilité d'utilisation. D'où le slogan 'for your peace of mind' (pour votre tranquillité d'esprit)."
L'équipe commerciale de Meditech est composée de véritables experts, qui aident les clients à déterminer si une automatisation plus poussée, avec toutes les fonctionnalités qu'elle comporte, a réellement un sens sur le plan économique et opérationnel. Un système entièrement automatisé devrait durer au moins 15 ans, et c'est bien sûr ce que Meditech leur promet, comme nous l'explique TD. Cette durée de vie plus longue implique automatiquement que tous les composants critiques proviennent de marques de fabricants d'équipements d'origine réputés qui offrent des garanties de cycle de vie d'au moins 15 ans.
Meditech offre ainsi également une certaine transparence, par exemple pour ce qui est des contrats de maintenance et d'intervention, puisque n'importe qui peut avoir accès aux prix de chaque composant en allant simplement sur Internet. Aujourd'hui, les formules proposées pour simplifier la vie des grandes pharmacies sont déjà très efficaces. De nos jours, au Royaume-Uni et en Australie, par exemple, l'automatisation en tant que service est déjà proposée dans le cadre de formules de leasing.
Propriété des technologies et des compétences
Meditech ne peut se vendre, se développer et se protéger que si elle parvient à conserver une longueur d'avance sur le plan technologique et à préserver ses compétences en interne. Pour pouvoir commercialiser elle-même l'IA, la mécatronique et l'informatique dans un seul et même système, il est évident qu'il faut procéder à des investissements considérables dans la recherche ainsi que dans le personnel.
Les données collectées par le matériel standard des capteurs et des caméras finissent dans une boîte noire fabriquée en interne qui exécute des algorithmes développés en interne. Le logiciel sur lequel nos machines tournent est en fin de compte l'esclave d'un processus beaucoup plus large, comme un système d'information hospitalier. Mais nous sommes actuellement aussi en train de prendre en charge le défi que représente l'échange et le transport interne de produits entre les départements internes ou les cliniques. Avec le temps, nous pourrons ainsi devenir un constructeur de systèmes logistiques internes complets.
En ce qui concerne le matériel, les deux principaux composants sont le système de guidage linéaire et le système de préhension. Pour pouvoir proposer des variantes de ses produits, l'entreprise a recours à un stock de sous-assemblages de composants finalement très modulaires. Le PGI et le logiciel de GRC sont intégrés de manière à ce qu'après l'approbation du devis du projet, tous les autres éléments tels que la nomenclature soient rassemblés, que tout soit sélectionné de manière conforme et provisoirement assemblé et testé sur le site avant l'expédition. L'entreprise envisage toutefois de faire ses premiers pas dans le domaine de la simulation de jumeaux numériques, où les pièces tournent dans un assemblage virtuel et où le logiciel et le calibrage spécifiques sont testés, avant d'être immédiatement expédiés pour être assemblés.
À terme, Meditech souhaite raccourcir au maximum les passerelles qui relient le processus de vente, la production et l'assemblage, grâce à un logiciel de configuration dans lequel toutes les variables, comme par exemple les dimensions de l'environnement, peuvent être introduites dès la phase de vente. Il sera ainsi possible d'obtenir une proposition adéquate, un devis, sans oublier toutes les données nécessaires à l'activation des processus de production et d'assemblage.
La gamme de modules de chargement automatique (Optimat QL + Integrated) a été développée dans le seul but de simplifier encore davantage la tâche du pharmacien. Ces modules de chargement garantissent que toutes les livraisons sont automatiquement chargées dans le robot de la pharmacie en appuyant simplement sur un bouton. Le pharmacien peut ainsi charger ses commandes la nuit et se concentrer sur son cœur de métier dès le lendemain matin.
MT.Speed est un module optionnel pour notre robot de pharmacie sur mesure (MT.XL). Nous sommes les seuls sur le marché à proposer un tel système capable d'effectuer de multiples livraisons très rapides (15 boîtes en moins de 3 secondes). Beaucoup de concurrents travaillent par gravité, mais notre système de canaux horizontaux équipés de petites bandes transporteuses nous permet de livrer plusieurs boîtes différentes de manière très précise et rapide. Le module est autonome et apprend tout seul, de telle sorte que le remplissage se fait en tenant compte des articles les plus vendus. Ce produit est très apprécié sur les marchés français et anglais.
Timon Dejonghe – Une Vierge essaie toujours de nouvelles choses
Dejonghe est une Vierge, née en 1969. Timon est issu d'une famille où les études étaient encore un privilège. Il a fait des études d'ingénieur en électromécanique et automatisation à Alost, et ce n'est que plus tard, grâce à ses économies amassées à la sueur de son front, qu'il a repris des études d'architecture. Dejonghe aime se détendre, de préférence le plus longtemps possible, surtout après avoir couru 38 marathons. "Je courais des marathons il y a 25 ans, c'est-à-dire bien avant que tous les CEO 'mainstream' d'aujourd'hui ne publient des photos de leurs marathons", dit-il avec un sourire espiègle.
Il est par ailleurs passionné d'art, ce qui est tout à fait génétique, voire épidémique, puisque son épouse et ses deux enfants nourrissent cette même passion et se contaminent mutuellement. L'ingénieur-architecte reste toujours très proche de son épouse et de ses enfants, tant au niveau de la profession que de l'éducation. Il aime tout voir, du pop art caricatural de Roy Lichtenstein à la classique 'Jeune Fille à la perle' du XVIIIème siècle. Et en parlant de perles, en tant qu'architecte, il recherche constamment, dans les endroits les plus inattendus, d'anciennes propriétés délabrées, qu'il transforme – avec le temps et la persévérance nécessaires – en de véritables joyaux.
TD conclut notre entretien en nous dévoilant sa citation préférée : The world needs dreamers and the world needs doers. But above all, the world needs dreamers who do...