À deux semaines de l'ouverture des portes du salon Machineering 2025, qui s'apprête à accueillir – comme les autres années – une foule de professionnels intéressés par les technologies de fabrication à Bruxelles, nous nous sommes rapidement rendus dans la zone industrielle de Turnhout pour y interviewer un fidèle visiteur des différents salons que nous organisons. Et nous voilà donc autour d'une table à siroter un expresso en compagnie de Wilko van den Abbeelen (CEO) et Marc Kruijssen (Business Development Manager), deux figures clés au sein de Tumag, une entreprise spécialisée dans la production, le contrôle et l'entretien de moules, les outils de coupe de haute précision, la mécanique de précision, sans oublier toutes les techniques de moulage par injection qui vont de pair.
Depuis sa création en 1978, Tumag est restée une entreprise familiale, et ce jusqu'aux années 90, époque où elle a été rachetée par une holding néerlandaise. En 2009, après la crise financière, Wilko et un collègue ont repris les rênes de l'entreprise dans le cadre d'une opération de rachat de l'entreprise par ses cadres. Depuis 2015, Wilko est l'unique actionnaire de l'entreprise. Entre-temps, son gendre (Wouter, CFO) et son fils (Thomas, CTO) ont également rejoint les rangs de l'entreprise, assurant ainsi la relève de cette dernière. Tumag emploie actuellement 30 personnes, dont une vingtaine de spécialistes des machines, des outilleurs et 4 spécialistes de l'ingénierie et de la préparation de production.
Marc est issu du même secteur et a une formation de commercial. Il connaît l'entreprise depuis longtemps et se consacre désormais exclusivement à l'ouverture de nouveaux marchés.
Compétences - Paysage concurrentiel
Une des principales compétences de Tumag est, de par la tradition de l'entreprise, la cocréation de moules, leur fabrication, mais aussi leurs essais au sein du département de moulage par injection de l'entreprise même. Une autre de ses spécialités est l'usinage de composants mécaniques de précision, qui nécessite de multiples opérations d'usinage, et donc un parc machines très diversifié, combiné à un savoir-faire étendu dans le domaine des techniques d'usinage.
Wilko clarifie ce point : "Nous disposons de presque tout en interne, notamment pour le tournage, le fraisage, la rectification cylindrique, plane, par coordonnées et de profils, l'usinage à grande vitesse, l'électroérosion par enfonçage, l'électroérosion par fil, le soudage laser et la gravure laser. Nous sommes donc une sorte de 'one-stop shop' spécialisé dans les projets de haute précision pour les clients qui souhaitent que tout soit usiné sous un seul et même toit." Marc ajoute quelques précisions supplémentaires : "N'importe quel client peut s'adresser à nous, même pour des séries plus modestes ou des opérations moins complexes, étant donné que nos jeunes opérateurs et nos machines plus standard peuvent être mobilisés à différents stades."
On peut donc considérer Tumag comme un fournisseur polyvalent pour les segments milieu et haut de gamme. Pendant la pandémie, Tumag a investi des sommes considérables dans la technologie et s'est récemment agrandie de manière significative en termes de superficie et de nouveaux bâtiments. Deux lotissements intercommunaux ont été regroupés, donnant ainsi naissance à un espace de production qui s'étend désormais sur 2.800 m².
De manière inévitable – et surtout dans le cadre de notre baromètre de Machineering – nous posons ici aussi quelques questions sur l'état du marché. Et tout comme leurs collègues du secteur, Wilko et Marc signalent que le moins que l'on puisse dire, c'est que le secteur traverse une période difficile, que ce soit dans le Benelux ou en Allemagne. L'année 2024 a été particulièrement compliquée pour tous les collègues du secteur et 2025 sera encore un peu plus mouvementée sur le plan géopolitique. D'après mon propre avis et à en croire les nombreux échos qui nous parviennent d'Agoria, il s'agit là d'un consensus assez large.
Comme me l'ont déjà rapporté plusieurs collègues de l'industrie, l'ensemble du paysage de la fourniture d'ASML suscite encore quelques réserves. Chez ASML, un ralentissement est perceptible, ce qui se traduit également par une diminution du travail pour les fournisseurs de confiance. La diversification de la clientèle est donc une véritable priorité pour Tumag. Tout comme Marc, Wilko a su tirer les leçons des crises qui se sont succédées ces derniers temps. Tous deux ont traversé la crise financière et savent donc bien comment ils doivent s'y prendre.
Les clients de Tumag en Belgique, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni ont tendance à opérer à l'échelle mondiale en termes de production, de sorte qu'ils obtiennent un retour d'information immédiat sur la façon dont les choses se déroulent sur les différents continents. Les produits fabriqués par Tumag sont utilisés par ces entreprises dans leurs usines aux quatre coins du monde. Tumag n'est pas vraiment active sur les marchés de l'automobile, mais plutôt sur ceux en lien avec la chimie, la pharmacie, l'électronique, les soins personnels et l'emballage.
Relocalisation et consolidation de la chaîne d'approvisionnement
Je profite de l'occasion pour également aborder la question de savoir si, dans le segment de l'usinage moyennement et hautement intensif, la relocalisation de nombreux clients a un impact positif sur la demande locale. Selon mes deux interlocuteurs, il s'agit là d'un sujet à prendre avec un grain de sel. En tant qu'entreprise très polyvalente dans les segments moyen et haut de gamme, Tumag n'a pas énormément de concurrence locale directe, mais la thèse selon laquelle la relocalisation des grands équipementiers va changer les choses localement n'aura de toute façon un impact perceptible que d'ici quelque temps. Sur le plan géopolitique, il est évident que tout peut arriver, en bien comme en mal, mais ce sont les marchés eux-mêmes qui devront en décider.
Il faut bien comprendre qu'il y a le haut de gamme... et le haut de gamme ! Tumag opère à l'échelle du micromètre et non à celle du nanomètre. "La limite supérieure se situe autour de 2 à 3 micromètres, en fonction du type de machine", précise van den Abbeelen.
En me référant à la conversation que j'ai eue par le passé avec Carl Berlo (le CEO de 247TailorSteel), je m'informe également sur l'évolution de ce qui se passe dans la région d'Eindhoven, Venlo, Turnhout, Breda et Gorinchem, en d'autres termes dans l'écosystème d'ASML. Je demande également comment il se fait que tant d'entreprises néerlandaises soient engagées dans un processus de consolidation. Wilko décrit la chaîne d'approvisionnement comme une pyramide avec, au sommet, un petit nombre de fournisseurs principaux spécialisés. Au-dessous d'eux, on trouve un grand nombre de fournisseurs de second rang qui peuvent s'approvisionner par l'intermédiaire de ces fournisseurs principaux. Les grands consortiums envisagent de plus en plus souvent la possibilité d'acquérir des compétences et d'engager des talents au niveau local. Cette tendance est principalement motivée par la rareté des compétences et de la main-d'œuvre et par la nécessité pour les grands fournisseurs de se préparer à des chaînes d'approvisionnement plus flexibles et plus durables.
Tumag est, pour sa part, moins dépendante de l'écosystème d'ASML, car ses marchés comprennent environ 60 % du secteur du moulage par injection et 40 % de la mécanique de précision. Son parc machines est tellement flexible dans son utilisation en fonction de l'évolution de la demande qu'il peut s'adapter avec beaucoup de facilité aux différents cycles industriels.
Marc fournit quelques éclaircissements sur la manière dont les choses se déroulent chez certaines autres entreprises du secteur. "Les sous-traitants ont beaucoup investi dans des machines d'usinage adaptées aux besoins d'un seul client principal. Ce type d'approche entraîne une grande vulnérabilité si la production et la clientèle ne sont pas réellement diversifiées. Lorsque les carnets de commande sont moins bien remplis, ces entreprises ont tendance à se tourner vers d'autres marchés sur lesquels elles ne peuvent pas toujours être compétitives. Cette situation est bien sûr fâcheuse à court terme, mais les choses devraient finir par se rééquilibrer à long terme."
Se développer sur des marchés complexes (innover, mais aussi et surtout savoir faire preuve d'audace)
Face à tous ces défis, Tumag ne reste pas les bras croisés. L'Europe ne doit pas rester bloquée sur les industries des semi-conducteurs et de l'automobile, comme le soulignent Marc et Wilko.
"Il existe suffisamment de marchés potentiellement porteurs où les atouts de Tumag peuvent également être exploités. Il suffit de penser aux industries chimique, pharmaceutique et médicale, à l'électronique, ou encore à la défense, par exemple. Ce dernier marché devrait encore prendre de l'ampleur après les récentes déclarations faisant suite au récent réveil de l'OTAN et de l'Europe à cet égard. Mais le pouvoir décisionnel de l'Europe reste très décentralisé, et tout est donc beaucoup plus lent à se mettre en place", indique Marc.
Tous deux confirment que l'Europe doit s'ouvrir à de nouvelles activités commerciales et lâcher du lest sur le plan réglementaire, sans toujours essayer de jouer le rôle du plus gentil (c'est-à-dire du plus durable dans le présent contexte), mais en devenant l'acteur continental le plus créatif, le plus compétent et le plus agile. Marc et Wilko sont d'ailleurs déjà très impatients d'assister au débat 'Make Europe Great Again', qui se tiendra prochainement à Brussels Expo.
De nouvelles formes de coopération, telles que la fabrication en tant que service, sont des possibilités auxquelles l'entreprise s'ouvrira certainement à l'avenir. En ces temps nouveaux, les équipementiers sont en effet à la recherche de partenaires spécialisés qui leur permettent également de faire des prévisions budgétaires.
"Le capital humain constitue un autre défi. Il n'est en effet pas du tout évident de trouver, de retenir et de stimuler de nouveaux travailleurs, ni de leur permettre de se développer. Il existe cependant des collaborations, telles que l'apprentissage et les stages en alternance, avec lesquelles Tumag est en train d'expérimenter. Les bonnes personnes avec la bonne motivation sont de véritables perles rares, qu'il faut savoir polir avec beaucoup de patience et de précision", indique Kruijssen. "N'oublions pas non plus que l'aspect financier joue aujourd'hui un rôle déterminant pour la jeune génération."
Dans tous les secteurs, les personnes qui possèdent des compétences technologiques et qui sont douées de leurs mains sont choyées autant que possible, indépendamment de la conjoncture. "Tout entrepreneur est en effet parfaitement conscient que lorsque quelqu'un s'en va, il est presque impossible de lui trouver un remplaçant", ajoute le fondateur de Tumag.
Différentes techniques dans un environnement hautement numérisé
Tumag ne se contente bien entendu pas d'investir dans des bâtiments et des machines. La clé de voûte de l'infrastructure numérique de l'entreprise est un PGI adapté aux exigences des entreprises manufacturières, conçu par MKG (Metaal Kennis Groep), qui permet de gérer l'ensemble des opérations, depuis la commande du client jusqu'à la production, en passant par la logistique et la facturation. Pour le développement, le département d'ingénierie utilise Siemens NX.
Pour ce qui est de l'automatisation dans un tel environnement où les volumes produits sont faibles et la complexité est élevée, Tumag n'utilise pas vraiment de robots. En revanche, le spécialiste de l'usinage de précision a automatisé son département de tournage en le dotant d'un ravitailleur de barres, de machines d'usinage à grande vitesse et de machines d'électroérosion par enfonçage avec changeur de palettes. L'entreprise s'intéresse toutefois à la possibilité d'utiliser des cobots pour mener à bien certaines opérations d'usinage ou de finition à l'avenir.
Un tandem d'experts en matière de fabrication et de vente qui se passionne pour les belles bécanes
Wilko, qui est né en 1962, n'est pas tout à fait comme les autres Balance. Ce chef d'entreprise prend en effet des décisions très rapides et de manière très déterminée. Il est toujours heureux qu'au cours de son parcours d'enseignement général, les services d'orientation scolaire l'aient aiguillé vers un enseignement plus technique. Son arrivée dans l'enseignement secondaire technique a en effet été une véritable aubaine, car c'est cela qui lui a permis d'en arriver là où il se trouve aujourd'hui. De l'atelier, il est ensuite progressivement passé à la véritable profession d'ingénieur et, plus tard, au monde de l'entrepreneuriat.
Le chef d'entreprise trouve son bonheur dans sa famille, le jardinage (qu'il pratique en tant qu'agriculteur amateur) et les virées en Harley. Son être intérieur se nourrit quant à lui au rythme endiablé d'un bon 'Born to Be Wild', mais aussi en savourant de bons petits plats en compagnie de ses meilleurs amis.
La devise de van den Abbeelen est de 'toujours aller de l'avant, sans jamais se retourner'. Il a horreur des gens qui se plaignent sans cesse des mauvais choix qu'ils ont faits par le passé : on peut certes en tirer des leçons, mais on ne peut rien y changer.
Marc est un Poissons. Il se définit d'ailleurs lui-même comme un poisson primitif et se sent à l'aise dans toutes les eaux. Il veut nager partout, créer des liens entre les gens et relever de nouveaux défis. Kruijssen a une formation technique et commerciale, ce qui se reflète également dans ses loisirs. Ce 'lieutenant' commercial roule lui aussi en Harley et assouvit sa soif de connaissances techniques en bidouillant sur des V12 pour avions pour ensuite participer à des épreuves de tractor pulling. Et avec ce qui lui reste d'énergie, il s'adonne à la boxe anglaise et au VTT. Partageant la même passion pour la moto, lui aussi prend plaisir à écouter 'Born to Be Wild' ou d'autres classiques du genre, mais il n'hésite pas à également se passer du Iron Maiden et de la house. La devise de Marc est 'Soyons justes et honnêtes, et avançons ensemble vers l'avenir'. On peut facilement deviner que ce duo est très complémentaire. L'avenir de Tumag est donc clairement entre de bonnes mains !