Auteur: Karl D’haveloose
A chip, a bit, a wafer and a board… that’s the way we spell Brainport!
Partant de Courtrai, avec les sonorités très reggae de 'Cocaine in my Brain' de Dillinger dans les enceintes de notre voiture, nous bravons les inévitables embouteillages en direction d'Eindhoven (merci d'ailleurs à Philip Reinders Folmer de Renishaw pour cette introduction) pour aller déguster un expresso en compagnie de John Blankendaal, Managing Director chez Brainport Industries, que nous sommes bien sûr très impatients de rencontrer...
Ceux qui ne connaissent pas encore Brainport n'ont probablement pas non plus entendu parler d'ASML, ASMI, Philips, VDL, NXP, DAF et d'autres fabricants d'équipements d'origine (OEM) high-tech qui sont régulièrement cotés à l'indice DAX néerlandais. Pas moins de 125 membres font aujourd'hui partie de l'écosystème de Brainport Industries, le groupe de fournisseurs high-tech pour les 5 OEM de première ligne situés à moins de 40 kilomètres. À ceux-ci s'ajoutent 14 autres fournisseurs de première ligne situés dans un rayon de 40 kilomètres, et pas moins de 320 fournisseurs de deuxième et troisième ligne si l'on inclut ceux qui se trouvent aux États-Unis.
Le secteur néerlandais des systèmes et matériaux high-tech (HTSM) dans le Brabant compte 15.560 entreprises individuelles, représentant un peu moins de 130.000 emplois (dont 34.000 dans le domaine de la R&D), 81 milliards d'euros en valeur de production et plus de 30 % des dépenses en capital dans la R&D.
Nous avons cependant encore plusieurs questions à poser à Blankendaal, malgré cette réussite et la très ambitieuse feuille de route stratégique qui peut être consultée en ligne. Nous voulons notamment en savoir plus sur les prochaines étapes que Brainport Industries entend mettre en œuvre, sur la manière dont le réseau collabore, y compris avec les centres de recherche belges, et surtout, sur les enseignements que nous pouvons tirer de tout cela pour stimuler la dynamique, par exemple, des pôles technologiques qui existent autour de villes telles que Courtrai, Louvain, Louvain-la-Neuve ou encore Genk.
Trois domaines d'excellence : low volume, high mix et high complexity
Nous cherchons à savoir comment se déroulent les troisième et quatrième trimestres pour l'industrie néerlandaise de l'approvisionnement et de la construction de machines. Des nuages noirs viendront-ils obscurcir le ciel de l'industrie manufacturière néerlandaise ou le scénario 'Boucles d'or' pourra-t-il se dérouler sans encombre ? Blankendaal relativise ces propos en y apportant quelques nuances : "Je suis optimiste par nature, et ma spécialité est plutôt axée sur tout ce qui touche à trois domaines spécifiques, à savoir low volume, high mix et high complexity, mais vu comment les choses se présentent à l'heure actuelle, nous ne nous trouvons pas dans un contexte de baisse structurelle." Dans le domaine des systèmes et matériaux high-tech (pour la microélectronique, la transition numérique, la MedTech, les énergies durables et la fabrication additive), qui bénéficie d'un soutien considérable de la part du gouvernement néerlandais, nos entreprises néerlandaises phares sont présentes dans le monde entier, figurent parmi les dix premiers OEM dans leur domaine et disposent d'un portefeuille de clients très diversifié à l'échelle internationale. Cela réduit naturellement le risque de cycles baissiers plus spécifiques à une région, comme c'est le cas actuellement en Allemagne, par exemple. Mais l'industrie manufacturière liée au secteur de l'alimentation, au secteur aéronautique et spatial et à d'autres secteurs encore, comme p. ex. ceux de Lely et de Van der Lande, ne se portent pas trop mal non plus."
"Au cours de cette dernière décennie, le gouvernement néerlandais et le ministère néerlandais des Affaires économiques et du Climat (EZK) se sont beaucoup concentrés sur les secteurs porteurs (systèmes high-tech, matériaux, logistique, énergie) et ont mis en place un comité chargé d'élaborer une feuille de route définissant les perspectives d'avenir de ces secteurs d'ici à 2030. Cela inclut la récente initiative 'Groeifonds' (Fonds de croissance) qui octroie des subventions."
Mais ce n'est pas tout, puisque l'enjeu consiste aussi, par exemple, à mobiliser avec efficacité les personnes adéquates et à leur permettre de collaborer entre elles ainsi qu'avec les institutions chargées de la diffusion des connaissances. "La compétitivité des entreprises individuelles, des OEM et des fournisseurs est largement déterminée par les performances de l'ensemble de la chaîne de valeur et du réseau." Blankendaal affirme donc que pour rester compétitif dans le cadre d'un terrain de jeu très international, l'industrie manufacturière de pointe doit impérativement pouvoir développer toutes formes de coopération.
Nous essayons toutefois de savoir s'il peut y avoir des obstacles, comme c'est le cas actuellement en Belgique pour l'octroi des permis d'environnement et d'exploitation (Ineos). D'après Blankendaal, les Pays-Bas rencontrent peu de problèmes en matière d'octroi de permis : "Pour l'instant, ce sont surtout les objectifs en matière d'azote et l'infrastructure électrique inadéquate qui constituent les sujets brûlants, ainsi que la crise du logement et la pénurie de main d'œuvre qualifiée."
La pénurie d'énergie et de main d'œuvre qualifiée
Nous ne sommes pas seuls en Belgique... Si Elia a récemment rapporté qu'en Flandre occidentale, il était impossible d'injecter dans le réseau de l'énergie supplémentaire provenant de parcs éoliens et photovoltaïques, l'agitation autour du projet Ventilus montre que les Pays-Bas sont eux aussi confrontés à une infrastructure électrique obsolète. Heureusement, en tant que carrefour portuaire, la région d'Eindhoven est considérée comme prioritaire par le gouvernement, qui a donc pour intention de remédier à cette situation.
Mais ce qui est encore plus urgent, c'est de parvenir à convaincre les gens de venir s'installer dans cette région. Au cours des dix prochaines années, il faudra en effet combler un 'trou' de 70.000 travailleurs ayant suivi une formation technique avancée et exerçant des fonctions d'exploitation. Le rapport entre la pénurie de profils diplômés de l'enseignement supérieur et les personnes sur le marché du travail est de 1 pour 5. Blankendaal compte principalement sur les entrants latéraux (venant d'autres secteurs) qui choisissent de travailler dans l'industrie manufacturière – et tous doivent se recycler. Ce ne sera toutefois pas une mince affaire, étant donné qu'il y a au moins autant de pénuries dans les secteurs des soins de santé, de la logistique, de la construction et des transports. Blankendaal préconise également de mobiliser les migrants hautement qualifiés provenant de l'étranger, mais le contexte social et politique actuel complique quelque peu les choses à ce niveau.
À propos du reshoring, du nearshoring et de la mondialisation
Le directeur de Brainports fait référence à l'entretien que nous avions réalisé avec le CEO de Flanders Make en novembre dernier. Selon Blankendaal, la situation n'est pas si catastrophique que cela. Il y a certes une accélération des phénomènes de reshoring et de nearshoring, mais la mondialisation n'en est clairement pas à son point d'arrêt. Bien au contraire ! Mais cette mondialisation évolue aujourd'hui de manière plus subtile.
Là où, autrefois, les entreprises prenaient des décisions intelligentes en solo pour investir partout dans le monde dans des usines plus proches du client ou dans une main-d'œuvre moins chère, on assiste à présent à une délocalisation d'écosystèmes tout entiers, c'est-à-dire de chaînes d'approvisionnement complètes qui s'installent dans certaines régions géographiques en unissant leurs forces. Il s'agit donc d'une mondialisation axée sur un modèle qui consiste à suivre le client (follow the customer).
Des pôles spécialisés sont en train de se constituer dans le monde entier, comme à Phoenix (Arizona), où, dans le cadre du Chips Act, des entreprises telles qu'Intel et TSMC construisent un écosystème complet pour l'industrie des semi-conducteurs (comprenant des centres de connaissances, des OEM et des fournisseurs). Et la même chose se produira en Asie et en Inde, par exemple. En d'autres termes, il ne sera plus nécessaire que des machines et des systèmes fassent des allers-retours aux quatre coins du globe pour que tout le monde puisse être approvisionné.
Les centres de connaissances tels qu'Imec, les machines d'ASML et de nombreux fournisseurs de l'industrie manufacturière tirent profit de cette situation à l'échelle internationale. Sans eux, rien ne pourrait fonctionner. À l'heure où nous parlons, nous venons d'apprendre qu'Imec vient d'inaugurer un nouveau site à côté de l'université Purdue, en Arizona, où des recherches seront menées conjointement sur de nouveaux matériaux destinés aux puces électroniques.
On rit ensemble, on pleure ensemble
Certains affirment que l'écosystème autour des détenteurs de monopoles tels qu'ASML pourrait être lourdement impacté en cas de brusque ralentissement de la conjoncture. Mais Blankendaal ne partage pas cet avis. Si les semi-conducteurs sont aujourd'hui considérés comme un moteur de croissance, l'ensemble du secteur, qui repose sur une combinaison mêlant high mix, low volume et high complexity, a un champ d'action beaucoup plus large. L'accent est clairement mis sur les fers de lance de la haute technologie, tels que le secteur aéronautique et spatial, la MedTech et la Défense, par exemple. Il n'y a donc pas que la technologie des puces qui contribuera à la poursuite de l'expansion.
Notre CEO se montre catégorique à cet égard : "La mondialisation évoluera désormais selon un modèle stratégique parfaitement étudié sur le plan économique, en clonant des écosystèmes entiers tels que ceux que nous avons ici (et cela transcende clairement les semi-conducteurs, mais aussi tout ce qui relève de la production high-tech complexe). Le clonage de tels écosystèmes au niveau mondial ne peut cependant se faire que si l'on dispose des compétences internes de l'écosystème, ce qui est très difficile à copier pour un tiers extérieur."
"En outre, il n'est pas toujours possible de contrer les ralentissements économiques. En revanche, ce que vous pouvez faire collectivement, en tant qu'écosystème autour de votre noyau d'OEM, c'est conclure des accords de solidarité pour faire face aux périodes plus difficiles, permettant, comme nous le disons ici aux Pays-Bas, de 'rire ensemble et pleurer ensemble'. Plus précisément, il ne s'agit plus aujourd'hui de concurrence mutuelle au sein d'une même chaîne, mais plutôt de concurrence entre différentes chaînes. Si vous voulez participer de manière significative à la chaîne, vous devez respecter le fait que tout le monde, y compris votre concurrent, en fait partie."
Personnellement, je pense qu'ici, nous, les Belges, pourrions apprendre l'une ou l'autre chose de nos voisins du nord. Je pense en particulier à l'interaction et au transfert de connaissances au niveau de la chaîne, et au fait de ne pas s'enliser dans la bataille pour obtenir la plus grosse part du gâteau, en privilégiant plutôt la collaboration en vue d'optimiser les opportunités, combinée à une répartition judicieuse des ressources, des connaissances spécifiques et du personnel. En Belgique, j'ai parfois l'impression que la devise est plutôt : 'on rit seul et on pleure ensemble'.
Concentrez-vous sur vos propres compétences et confiez les autres à des spécialistes
La devise voulant que l'on puisse rire et pleurer ensemble s'applique également à un OEM du secteur MedTech tel que Philips. Ici aussi, le concepteur de technologies d'imagerie médicale a fait le choix d'utiliser sa R&D, ses connaissances et son propre personnel là où ils sont les plus utiles, et de faire développer et fabriquer ses périphériques par d'autres acteurs compétents de la chaîne d'approvisionnement. Mais les choses vont bien entendu plus loin, puisque, d'après ce que j'ai compris de l'explication de Blankendaal, les compétences, les données et les connaissances nécessaires sont également partagées à des fins communes, ce qui permet de grandir en même temps que l'OEM en question.
Tout le monde est le bienvenu, sous réserve de certaines conditions – et ce ne sont pas les candidats qui manquent
"Chez Brainport Industries, tout le monde est le bienvenu en tant que nouveau membre, à condition bien évidemment d'être actif dans la chaîne primaire des systèmes high-tech, et de respecter les accords nécessaires en matière d'interaction, d'innovation et de transfert de connaissances."
Blankendaal apporte quelques précisions complémentaires : "Les membres participent ensemble à des projets d'innovation et au développement de produits qu'ils proposent ensuite aux clients finaux sous la forme de solutions globales. Ceux qui ne contribuent pas s'excluent automatiquement. En outre, vous ne deviendrez pas un membre à part entière si votre candidature n'est pas étayée par un dossier dûment motivé et décrivant votre contribution à la chaîne, et si ce dossier n'est pas validé et signé par deux autres membres."
Le bâtiment 1 du campus est déjà loué à 99 %. Entre-temps, le conseil d'administration est en train de soumettre le plan d'affectation du sol pour le bâtiment 2 (le plan d'urbanisme est déjà prêt). D'ici 2027 au plus tard, 50.000 m² supplémentaires (phase 1) de la surface prévue de 200.000 m² devraient donc être prêts pour accueillir de nouveaux membres. Une croissance ultérieure est envisagée principalement pour les entreprises issues de technologies prometteuses telles que la photonique et les énergies renouvelables.
Une coopération intelligente et sans frontières (mieux vaut un bon voisin qu'un ami lointain)
Brainport entretient une étroite coopération transfrontalière avec Imec, Flanders Make et Sirris (entre autres), mais aussi dans un contexte plus large avec l'Espagne et l'Allemagne, par exemple dans le cadre de Smartfactory.eu (collaborations I.4.0), du projet Interreg Focus (Belgique-Pays-Bas), ou au niveau européen avec DIMOFAC (digital modular factories).
Lorsqu'on lui demande comment la situation pourrait être encore plus satisfaisante, Blankendaal répond avec un brin de philosophie : "Mieux vaut un bon voisin qu'un ami lointain." La coopération avec la Belgique est de plus en plus harmonieuse. Dans la plupart des cas, la difficulté réside dans une meilleure coordination des accords de subvention transfrontaliers, où les critères et le calendrier des paiements ne sont pas toujours synchronisés. Parfois, les collaborations avec les centres de recherche belges et néerlandais échouent parce que les deux parties impliquées ne mettent pas les fonds nécessaires sur la table au bon moment."
Au niveau de l'entreprise également, Blankendaal estime qu'une coopération transfrontalière plus intelligente est absolument indispensable entre les entreprises d'une même chaîne de valeur. Il faut passer de l'externalisation classique à la coopération interentreprises, car il y a encore un peu trop d'individualisme dans l'air, ce qui rend la chaîne aussi vulnérable que son maillon le plus faible.
Blankendaal – De documentaliste (détective de l'information) à évangéliste
En plus de ses deux cornes de combattant, ce Bélier de 62 ans possède surtout plusieurs cordes à son arc, et ce dans de multiples disciplines. Il a en effet combiné ses études de documentaliste avec le marketing, et plus tard aussi avec des cours de maître, notamment sur l'IA et la stratégie d'entreprise au MIT. Il est ainsi devenu bibliothécaire-documentaliste pour une société de conseil en informatique et en organisation. (Pour ceux qui l'ignoreraient, un documentaliste se spécialise dans la collecte de la documentation cruciale pour aider les chercheurs – scientifiques ou techniques – dans leur travail). Par la suite, il a été engagé comme analyste commercial, un poste qui lui a permis d'explorer le monde du développement commercial et des nouvelles opportunités technologiques, tout en recherchant des entreprises issues d'un secteur morcelé qui, par le biais de fusions et d'acquisitions, pourraient concrétiser plus rapidement leur mission finale.
Son talent pour la collecte et l'analyse d'informations cruciales ainsi que son envie de jouer un rôle de pionnier ont conduit Blankendaal à faire ses premiers pas dans l'industrie manufacturière et dans tout ce qui s'y rattache. Aujourd'hui, il effectue toujours le même travail pour Brainport, en collectant des informations cruciales, en les analysant et en les assemblant comme les pièces d'un puzzle dans le but d'élaborer un scénario de croissance – qui concerne à la fois la technologie, l'économie et la société – pour les projets de Brainport Industries de demain.
Tout comme son épouse, Blankendaal est passionné par la randonnée et le golf, que ce soit aux Pays-Bas ou à l'étranger. Devant son kamado (modèle The Bastard), il prend également grand plaisir à partager ses techniques de cuisson au barbecue avec tout ami désireux de se régaler avec ses plats.
Blankendaal reste fidèle à sa dernière devise : 'On rit ensemble, on pleure ensemble'. Et pour lui, cela doit se faire dans le respect mutuel et le dialogue entre les entreprises, les personnes sur le lieu de travail et les membres d'une même famille. Pour rester dans le jargon des randonneurs, c'est en effet la seule façon de franchir des montagnes et de traverser des vallées de manière durable.