Auteur: Karl D’haveloose

Mon hôte, Geert De Jaeger, me conduit vers son bureau en montant les escaliers d'un pas énergique. Comme je m'y attendais de la part d'un Flamand occidental de pure souche, je dispose d'une heure tout au plus pour poser mes questions, sans la moindre possibilité d'improviser. Nous apprécions beaucoup ce côté très pragmatique, directement hérité du monde rural, qui nous permet d'éviter tout protocole superflu et tout échange de banalités concernant la pluie et le beau temps.

C'est en 1976 que Marcel De Jaeger a créé son entreprise de transport Dematra. Trois ans plus tard, le père De Jaeger décède, une catastrophe qui oblige Geert, alors âgé de seulement 16 ans, et son frère aîné, qui avait 7 ans de plus que lui, à quitter immédiatement l'école afin d'assurer la subsistance du reste de la famille. Tout ce qu'ils avaient à cette époque, c'était un camion, une camionnette, et des tas de factures à payer.

Dematra effectuait des missions de transport au niveau national et international, et assurait également des services de sous-traitance pour des entreprises actives dans les environs de l'aéroport. Elle entrait systématiquement en contact avec les clients professionnels flamands de ces entreprises, qui avaient eux-mêmes grand besoin d'un transporteur flexible pour tous leurs colis, petits et grands.

Dematra est en train de devenir un spécialiste (top 5) du transport B2B en réseau dense dans le Benelux. Plus concrètement, cela signifie que pour des sociétés telles que Samsonite, par exemple, nous livrons des petits colis à des petits magasins qui se trouvent dans des centres-villes très fréquentés ou dans de grands centres commerciaux, mais nous livrons également des produits alimentaires, tels que des sodas ou des snacks, à de grands magasins d'enseignes comme Delhaize ou Colruyt. Chaque jour, des marchandises destinées à pas moins de 150 clients sont enlevées et transbordées à Nazareth (8.500 m², 80 quais de déchargement). Sur base journalière, cela représente quelque 1.800 adresses de livraison aux quatre coins du Benelux.

Le transporteur en réseau dense se transforme en spécialiste de services logistiques complets

Dematra est aujourd'hui présente dans deux secteurs. Celui du transport en réseau dense, qui est celui dans lequel l'entreprise a ses racines, et celui de l'entreposage, qui lui permet de répondre à la demande d'entreposage logistique de ses plus gros clients. Il s'agit là de deux métiers bien distincts et particuliers, qui requièrent chacun un investissement non négligeable, mais qui permettent néanmoins de dégager des marges substantielles. L'entreposage a lui aussi connu des débuts modestes il y a 25 ans, avec un entrepôt comptant 5.000 emplacements de palettes. L'arrivée de certains clients souhaitant stocker des aliments secs a permis à Dematra de développer son savoir-faire (autorisations, contrôle de la température et exigences en matière de stockage pour ce type de produits), ce qui fut une très bonne chose d'un point de vue stratégique. Des clients comme la société Poco Loco (600.000 palettes par an), qui n'en était alors qu'à ses débuts, sont en effet venus frapper à notre porte. Et d'autres grands fabricants et distributeurs d'aliments secs (Mulder, Pepsico, Inex...) n'ont pas tardé à suivre.

Le nouvel entrepôt permet à Dematra de disposer de 180.000 emplacements de palettes (palettes Europe). Le marché du transport en réseau dense est compétitif mais mature, et se partage avec des acteurs tels que DHL et GLS. Mais c'est là que Dematra se distingue, car contrairement aux autres, elle a la possibilité de mettre l'accent sur une approche familiale et personnalisée. Le transport en réseau dense présente d'énormes différences par rapport au transport international, par exemple. De nombreux acteurs qui se concentraient sur le transport en réseau dense ont disparu. En effet, les transactions sont aujourd'hui de plus en plus nombreuses, alors que les volumes (commandes et stocks) sont de plus en plus faibles.

Dematra emploie actuellement 165 ETP, dispose d'une cinquantaine de véhicules de distribution, d'environ 65 tracteurs, de 100 remorques et de tout un arsenal de sous-traitants. Aujourd'hui, le rapport entre les services de transport et de logistique est de 55/45 %.

Stratégie de croissance : le Yin de la logistique et le Yang du transport en réseau dense

"Le marché du transport de produits alimentaires et pharmaceutiques secs sous température dirigée est plutôt stable en termes de clientèle, poursuit sa croissance et connaît une rotation très rapide", affirme Geert. "En tant que partenaire logistique, Dematra déploie d'importants efforts pour investir dans ce secteur, de sorte que ces mêmes clients viennent ensuite (ou vice-versa) frapper à la porte de Dematra pour le transport en réseau dense. Ce qu'il y a de bien avec ces services, c'est que le fabricant, le distributeur et le détaillant final y trouvent chacun leur compte grâce à l'optimisation du transbordement, du chargement et du déchargement des colis. Mais il est évident que le niveau d'investissement nécessaire pour se distinguer dans ce domaine est énorme."

"Pour commencer, il est certain qu'aujourd'hui, on ne peut aller à la banque que si l'on a déjà de l'argent et que l'on peut prouver que l'on continuera à en gagner demain", souligne De Jaeger. "Mieux vaut donc disposer d'une marge suffisante pour les bâtiments, les terrains, le personnel et les équipements, plutôt que de vouloir devenir le plus grand en soi, car on ne peut pas durer sans résultats financiers positifs."

"Plus concrètement, il faut pouvoir compter sur une clientèle fidèle et solide qui, en payant le surcoût nécessaire, co-investit dans son partenaire stratégique de demain. En vue de l'avenir, nous comptons aller encore plus loin dans cette démarche, et tenter de devenir le partenaire le plus efficace, plutôt que le plus grand."

Une automatisation efficace dans le cadre de la logistique

Dans le secteur du transport, nous avons toujours dit haut et fort que notre but était de déplacer le plus de marchandises possible avec le moins de ressources et de personnel possible. Pour ce faire, il faut bien sûr commencer par tout empiler de manière efficace dans les véhicules, mais aussi dans les entrepôts.

Les entrepôts traditionnels nécessitent beaucoup de main-d'œuvre, et une grande partie des opérations logistiques internes se déroulent à l'intérieur des bâtiments. Et cela vaut aussi bien pour la réception que pour l'expédition des marchandises. Si l'on ajoute à cela la rareté des terrains destinés aux activités logistiques à proximité de nos clients, des entreprises et des infrastructures de transport, ainsi que les réglementations qui vont de pair, on comprend aisément que chaque mètre carré gagné en largeur et en hauteur a son importance.

Il y a trois ans, après de longues négociations, Dematra s'est vu attribuer un terrain de 36.000 m². La configuration et la composition du terrain étaient assez complexes. Au départ, nous avions prévu de construire un entrepôt classique d'une hauteur maximale de 22 mètres sur l'ensemble de la superficie. Cependant, lors de la présentation du projet à la presse, les autorités régionales ont clairement indiqué qu'aucun autre terrain industriel potentiellement exploitable ne serait libéré à l'avenir, ce qui signifie qu'il fallait impérativement optimiser cet investissement en termes de hauteur et de volume.

La même semaine, une première ébauche et une nouvelle analyse des coûts ont été réalisées pour la construction d'un entrepôt entièrement automatisé d'une hauteur allant jusqu'à 47 mètres, sur un terrain aussi réduit que possible. Pour charger 80.000 palettes en hauteur, sur une superficie bâtie d'à peine 10.000 m², il est évident que l'on doit faire appel à des équipements high-tech tels que des ascenseurs et des navettes. Compte tenu de ces paramètres et du nombre d'emplacements de palettes, il s'agit du premier entrepôt entièrement automatisé au monde utilisant cette combinaison de technologies.

Cela fait déjà des dizaines d'années que Stow et Stow Robotics sont des fournisseurs à domicile incontournables. À l'époque, ils ont également été les premiers à tester la technologie des navettes et des ascenseurs, remplaçant ainsi le système d'entreposage traditionnel utilisant des appareils de levage. Ceratec était quant à elle responsable de l'intégration complète et de l'automatisation des carrousels et des ascenseurs. Enfin, GLA Automation a créé la passerelle logicielle entre le WMS et tous les autres systèmes d'automatisation.

Faire des recherches, choisir les meilleurs partenaires, conclure des accords clairs et pouvoir faire confiance à 100 %

De Jaeger a bien fait son travail de recherche. Depuis plus de 25 ans, il sait qui sont ses clients, quels produits ils proposent et comment ces produits doivent être stockés et déplacés de manière optimale aujourd'hui, mais aussi et surtout demain. Il a également veillé à ce que le projet ne soit pas trop complexe, de manière à ce qu'il puisse être concrétisé rapidement, mais il a tout de même rédigé le scénario.

Dematra avoue ne pas posséder les compétences nécessaires en interne en matière de logiciels et de matériel informatique. "L'entièreté du processus, de la première brique au dernier connecteur, a donc été l'œuvre de prestataires externes. Il est inutile d'investir de l'argent, du temps et du personnel dans ce que l'on ne connaît pas. Si je commande un nouveau camion Mercedes ici demain, je m'attends à ce que celui-ci réponde parfaitement à mes exigences, et tous les tracas, les entretiens et les réparations ne doivent pas être ma préoccupation. Il en va de même pour tout ce qui touche au fonctionnement de l'entrepôt. Il s'est écoulé moins de 2 ans entre la première ébauche du projet et la réception de la première palette", déclare vivement le chef d'entreprise.

"Si vous êtes une entreprise de services logistiques et que vous vous lancez dans un investissement qui équivaut au double de votre chiffre d'affaires annuel, vous voulez tout naturellement que cet investissement soit rentabilisé dans les plus brefs délais. Tous les partenaires savaient que ce que nous avions construit ici était tout à fait unique, et qu'il n'existait que peu de références. Il a donc fallu que chacun définisse clairement ses responsabilités, même après coup", ajoute-t-il.

En ce qui concerne le budget et les prévisions, De Jaeger semble être sur la bonne voie. Malgré les nombreux aléas, aucun ajustement budgétaire majeur n'a dû être effectué a posteriori. Il insiste par ailleurs sur le fait qu'un langage clair, un scénario efficace et des lignes de communication courtes ont été d'une aide précieuse dans le cadre de ce projet. Actuellement, l'entrepôt est en phase de test et tourne à 25 % de sa capacité en palettes. Le but étant, après ce processus d'apprentissage et avec trois personnes formées, de pouvoir atteindre la vitesse de croisière assez rapidement.

Actuellement, il n'y a pas encore de VGA dans l'entrepôt. Pour le déchargement, nous utilisons toutefois des remorques équipées d'ATU (un système de chaîne dans la zone de déchargement qui permet de décharger 32 palettes en 2 minutes). Dans nos autres entrepôts, nous utilisons ce même système pour le déchargement des marchandises, ainsi que pour leur transport vers l'entrepôt sans main-d'œuvre. De Jaeger insiste : "Un entrepôt grande hauteur entièrement automatisé n'a véritablement de sens que si vos volumes et votre rotation sont suffisamment importants. Aujourd'hui, en fonction de votre secteur et de votre modèle d'entreprise, un entrepôt traditionnel disposant de toute la technologie semi-automatique nécessaire, combiné à une bonne connaissance du marché, peut tout aussi bien être rentable."

De Jaeger espère que d'ici 2025, il sera en mesure de doubler le chiffre d'affaires qu'il réalise dans le secteur du transport comme dans celui de la logistique. À l'heure où nous sommes en train de rédiger cet article, nous apprenons par ailleurs que Dematra vient de racheter un spécialiste du transport par camion complet (De Sloover), ce qui lui permettra de renforcer sa flotte actuelle avec 25 camions supplémentaires. On assiste incontestablement à une vague de consolidation, et d'autres acquisitions dans le secteur du transport et de la logistique ne sont pas à exclure. "Les plus grands défis qu'il nous faudra relever seront l'électrification de tous les véhicules et l'augmentation des coûts énergétiques liés à la climatisation des entrepôts, sans oublier la nécessité de trouver de nouveaux terrains exploitables. La complexité des chaînes d'approvisionnement et du conditionnement des produits alimentaires et pharmaceutiques oblige les fabricants à se concentrer sur leur production, tandis que la logistique et la distribution deviennent des métiers à part entière qu'ils préfèrent confier à des spécialistes. Les cinq plus grands fabricants mondiaux de produits alimentaires sont demandeurs d'une solution adaptée pour le transport, le stockage, le réétiquetage, le reconditionnement ou même la fabrication de présentoirs personnalisés. En d'autres termes, ils cherchent à se décharger entièrement des tâches devant être accomplies depuis la sortie de l'usine jusqu'au point de vente", conclut De Jaeger.

Un Lion sexagénaire qui s'offre une vue panoramique depuis le haut de sa colline

Né en 1962, ce Lion dirige aujourd'hui Dematra avec l'aide de son fils Cédric (l'aîné des deux frères héritiers de l'entreprise qui jouit désormais d'une retraite bien méritée). Cette collaboration lui permet de se détacher quelque peu des flux opérationnels et de s'intéresser davantage à la croissance, au développement et à la stratégie de l'entreprise. De Jaeger est un conducteur habile, qui aime rester concentré sur la route, car il aime parcourir de longues distances en peu de temps. Son univers musical s'étend de Will Tura à Metallica. Le chef d'entreprise est tout aussi éclectique pour ce qui est de la pratique sportive, puisqu'il s'adonne aussi bien au VTT qu'à la course à pied, à la voile et aux rallyes de régularité. La chose qu'il est inutile de lui demander, c'est de bien faire les choses, car quoi qu'il fasse, il tient toujours à être le meilleur. Ce fils d'agriculteur préfère être toujours occupé, de préférence en plein air, en compagnie de ses animaux et de ses amis. Ajoutez à ce tableau une Stella bien fraîche et un bon steak frites, et le voilà entièrement comblé !

En semaine, son travail rythme tout son quotidien, mais le week-end, c'est son entourage social qui compte plus que tout. Si l'on devait retenir un credo personnel qui émane de la stratégie de Dematra, ce serait assurément "Déplacer des montagnes en faisant le moins d'efforts possible", ce qui souligne d'ailleurs bien la nécessité absolue d'une gestion efficace et rigoureuse des actifs dont