Auteur: Karl D’haveloose
Il est un peu plus de midi lorsque je pénètre dans les locaux de Handsaeme à Izegem. Après avoir erré dans un couloir vide à la recherche d'un être vivant, je finis par tomber sur un employé qui est en train déplacer un nouveau meuble de bureau de manière très consciencieuse. Je lui demande s'il peut me dire où je pourrais trouver le patron de l'entreprise, Olivier Handsaeme (ci-après O.H.), et il me répond en souriant que c'est lui. Me voilà donc face à l'Einstein d'Izegem en chair et en os. Pour ceux qui ne connaîtraient pas Handsaeme Machinery, je dirais – après avoir visité ses ateliers de fabrication – qu'il s'agit d'une entreprise qui allie le bon sens le plus élémentaire, un certain désordre organisé et une bonne dose d'ingéniosité. Ce n'est d'ailleurs pas par hasard qu'une photo caricaturale tout à fait typique de la Flandre occidentale représentant O.H. déguisé en Einstein est placardée partout à l'intérieur et à l'extérieur du bâtiment de l'entreprise.
Handsaeme est un constructeur de machines qui se concentre sur 3 piliers liés à des secteurs d'activité spécifiques. Le premier est Carpet & Textile. Ensuite, il y a Wood, via lequel l'entreprise propose des solutions destinées aux fabricants de palettes et de caisses et au secteur de la construction à ossature bois. Et enfin, il y a Custom Made, qui se charge des machines qui n'existent en fait pas encore et qui doivent donc avant tout être inventées.
Paysage concurrentiel et défis : pas de place pour les mauviettes !
Peu de temps après la Seconde Guerre mondiale, Handsaeme, une entreprise d'Izegem solidement implantée dans l'industrie des brosses depuis sa création en 1935, s'est vite aperçue que les brosses n'allaient pas aider l'industrie à se développer de manière spectaculaire. En revanche, le secteur de la chaussure a connu un essor rapide et a donc eu besoin de machines. Cette situation a permis à Handsaeme de prospérer jusque dans les années 60, après quoi l'entreprise a une nouvelle fois dû se réinventer, cette fois-ci dans le secteur en pleine expansion des tapis et du textile (Beaulieu, Balta, etc.).
Le textile et les tapis sont bien entendu des secteurs particulièrement cycliques (souvenez-vous notamment de la crise des années 90), mais la présence de l'entreprise dans ces secteurs a également ouvert la voie à des innovations telles que les textiles techniques et le gazon synthétique, pour n'en citer que deux. Les compétences requises pour ce type d'industrie résident principalement dans l'automatisation et les opérations qui interviennent au cours du cycle de production de ce type de produit, comme le chargement et le déchargement, la manipulation automatique, la découpe, l'enroulement, l'emballage ou la finition.
Poste d'enroulement automatique équipé de machines permettant d'enrouler, d'inspecter et de découper des textiles techniques
De nombreux fabricants européens de textiles ont délocalisé leur production aux États-Unis, en Asie (Inde), au Moyen-Orient et en Turquie. Suite à cela, un grand nombre de nouveaux petits constructeurs de machines locaux ont vu le jour, offrant des prix au moins deux fois moins élevés, et déployant également leurs activités à l'étranger. Dans des pays comme l'Inde, les solutions d'automatisation intelligente de grande envergure ne rencontrent qu'un succès limité. L'Europe et les États-Unis, en revanche, sont confrontés à des coûts de main-d'œuvre élevés, ce qui signifie que le degré d'automatisation y est crucial.
L'arrivée de Handsaeme dans le secteur du bois est assez récente et, pour l'instant, elle se limite en grande partie à l'Europe, même si les marchés américain et australien commencent eux aussi à s'intéresser au nouveau venu. Les machines utilisées pour produire du bois de construction sont de deux types : d'une part, il y a des machines semi-automatiques et entièrement automatisées permettant de produire des palettes et des caisses, et d'autre part, il y a des machines destinées à la construction d'ossatures bois, qui connaissent aujourd'hui un véritable essor en Europe. De nombreux grands entrepreneurs et sociétés d'investissement considèrent le marché de la construction à ossature bois comme une alternative très intéressante. Étant donné que ce secteur exige toujours un certain savoir-faire et une main-d'œuvre non négligeable, ces investisseurs optent pour des machines automatisées de très grande taille. Quant aux machines destinées à la fabrication de palettes et de caisses, il s'agit d'un marché qui est partout très local en termes de production. Le coût d'une palette est en effet trop faible pour aller la produire dans les pays les moins chers, et trop élevé pour la transporter vers un utilisateur lointain. C'est pourquoi les palettes sont généralement fabriquées dans la région du globe où elles sont utilisées.
"L'avantage de ce dernier pilier est que le paysage concurrentiel en Europe est limité à quatre acteurs majeurs, et que les investisseurs adoptent chacun une approche qui leur est propre en ce qui concerne les méthodes de production. Le fait qu'il n'existe pas de méthode de production standard rend ce marché très attrayant sur le plan de la personnalisation (on rencontre notamment toutes sortes d'épaisseurs, de hauteurs, de solutions d'isolation, de finitions et de méthodes d'installation). La construction à ossature métallique est elle aussi actuellement en plein essor, notamment en raison des problèmes liés à l'eau et à la chaleur", précise l'entrepreneur.
Dans le domaine de la production de palettes et de caisses, Handsaeme se spécialise dans la production de palettes de grande taille, spéciales, lourdes et ultra-résistantes, et non dans la production standard d'Europalettes, par exemple. Les machines lourdes ou l'industrie métallurgique ont besoin de palettes de très grandes dimensions (6 x 3 mètres et plus de 2 tonnes de capacité de charge).
O.H. rentre un peu plus dans le détail : "Notre pilier Custom Made représente entre 10 et 20 % de notre chiffre d'affaires. Les tapis (20 %) et les textiles techniques (25 %) d’une part et les machines pour le bois (40 %) de l'autre constituent les deux principaux piliers de l'entreprise." Le chef d'entreprise insiste ici sur un point particulier : "Dans la construction de machines, il n'y a pas de place pour les mauviettes !" Et on ne peut que le comprendre, puisque les marchés évoluent rapidement, de même que le paysage concurrentiel et la technologie. "En 2000, Handsaeme avait déjà dû prendre d'urgence un nouveau virage stratégique, car la répartition des activités était alors de 80 % pour le pilier Carpet & Textile et de 20 % pour le pilier Custom Made. Le secteur des tapis et du textile, par exemple, est très cyclique, ce que l'on peut encore constater de nos jours ; il suffit de voir à quel point les constructeurs de machines (textiles) ont la vie dure aujourd'hui."
Processus de production et d'ingénierie fortement intégrés en interne ou Izegem 4.0
Alors que le directeur de l'entreprise me guide à travers le hall de production, notre conversation se poursuit : "Le portefeuille de clients de Handsaeme qui optent pour des solutions sur mesure et spéciales est très varié. On y trouve aussi bien des entreprises spécialisées dans la fabrication de composants pour systèmes de climatisation que des fabricants de tubes en carton. Ce segment très spécialisé apparaît bien sûr comme le plus 'sexy', mais lorsque quelqu'un s'adresse à Handsaeme en lui apportant le prototype d'un produit final à fabriquer, les coûts d'ingénierie initiaux sont énormes et très difficiles à estimer, car nous devons ici partir d'une feuille blanche. Nous devons donc savoir avec précision dans quoi nous nous engageons lorsque nous acceptons une telle commande. La technologie unique que nous développons pour un client s'accompagne généralement d'une très grande confidentialité, de manière à empêcher la mise en œuvre de cette technologie sur un autre marché dès le lendemain. Le marché en plein essor du cradle-to-cradle (du berceau au berceau) et de l'ensemble du recyclage est par exemple toujours unique, sur mesure et complexe pour chaque entreprise qui vient frapper à notre porte."
Une ligne de production complète pour la construction d'ossatures bois est testée sur le site, les robots étant dans ce cas programmés pour un petit entrepreneur souhaitant assembler des cloisons avec le moins d'intervention humaine possible. Pour ce qui est de la robotisation, Handsaeme travaille en partenariat avec Kuka.
Aujourd'hui, Handsaeme Machinery emploie 45 personnes à temps plein, compte plus de 2.000 clients répartis dans 50 pays et réalise un chiffre d'affaires de 10 millions d'euros. L'objectif pour 2030 est de porter ce montant à 15 millions d'euros. Pour cela, l'entreprise a besoin de s'agrandir en créant un nouvel espace de production (de 5.000 m²).
"Il faut savoir qu'une ligne de production pour la construction d'ossatures bois fait facilement 80 mètres de long et 13 mètres de large, et qu'elle doit être construite et testée en étant entièrement assemblée ici, ce qui signifie que pour servir un plus grand nombre de clients, nous devons réorganiser notre production et notre montage", explique O.H.
À l'heure actuelle, le constructeur de machines dispose de 3 zones d'assemblage et la production de la plupart des composants spéciaux est entièrement intégrée (soudage, cintrage, découpe laser, découpe laser de tubes, fraisage, tournage, peinture et même impression 3D de plastiques et de métaux). Mais l'ingénierie et la programmation sont également réalisées en interne. La moitié des employés se consacrent au développement et à la programmation. Cela fait de Handsaeme un constructeur de machines intégré absolument unique en son genre. Certains processus, tels que le soudage, sont difficiles à robotiser chez Handsaeme, car les séries sont trop petites. La programmation du robot de soudage n'est pas un défi ici, mais la réalisation du calibre est très spécifique.
Le chef d'entreprise poursuit : "Ce qui est tout à fait remarquable, c'est notamment que, tout comme dans le domaine de la tôlerie et de l'usinage, la technologie asiatique d'impression 3D devient de plus en plus performante. Et la concurrence avec les fabricants occidentaux se fait donc de plus en plus rude. Les imprimantes pour plastiques et métaux de Handsaeme fonctionnent 24 h/24 et 7 j/7, et ne restent pas simplement là à prendre la poussière en attendant des travaux occasionnels", précise O.H. en souriant. "L'impression 3D de composants spéciaux en aluminium, par exemple, que l'on utilise à la place de composants usinés, exige des compétences très spécifiques dans le domaine de l'ingénierie et de la conception."
Les métaux imprimés sont généralement à 95 % aussi résistants que les métaux usinés.
Footnote : Lorsque nous évoquons les sujets de l'IA et de l'automatisation, O.H. nous fait comprendre que, pour lui, il s'agit tout simplement de bon sens. À titre d'exemple, il nous explique, comme si cela coulait de source, que lorsque nous avons affaire à un système qui doit charger des planches de bois avec le 'mauvais côté' vers le bas, les caméras de la pile doivent simplement identifier le 'bon côté' au moyen de la reconnaissance des pixels de la caméra, avant de faire pivoter la planche de manière robotisée.
Sur la connaissance, les personnes et les modèles de service
"De nos jours, il n'y a plus rien de simple, et c'est encore plus vrai lorsqu'il est question de personnes, de maintien des connaissances et des compétences", déclare le chef d'entreprise, avec qui je suis entre-temps revenu dans la salle de réunion. "Les personnes qui continuent à travailler ici jusqu'à leur pension se font de plus en plus rares. Et lorsque nous parvenons à recruter de nouveaux collaborateurs, ils ne restent pas toujours longtemps. La formation, le développement des compétences et le maintien de ces dernières constituent donc un défi de taille, que nous ne parvenons à relever pour l'instant qu'en ayant recours à la numérisation et à l'archivage systématiques de nos connaissances. L'utilisation de bibliothèques numériques et de fonctions de recherche pilotées par l'IA est déjà intégrée dans notre organisation."
Le constructeur de machines est également de plus en plus souvent amené à devoir assurer la surveillance en ligne et la maintenance des machines qu'il a livrées. Il est également de plus en plus fréquent que les machines soient vendues ou louées sous la forme d'une solution complète en tant que service, car les temps d'arrêt coûtent des fortunes. La demande d'assistance, de surveillance et de maintenance augmente sans cesse, car les clients exigent des garanties de fonctionnement dans le cadre d'une offre de services complète.
Handsaeme travaille dans un environnement où la complexité est élevée et les volumes faibles. L'automatisation de certaines tâches dans le cadre de processus toujours plus variés est un défi considérable. En termes de numérisation, la vraie difficulté consiste à extraire le plus rapidement possible des fichiers 3D les instructions destinées aux machines et aux opérateurs. Et en ce qui concerne les composants, malgré la diversité des versions, nous devons nous efforcer de réduire les stocks au minimum. Par conséquent, 95 % des pièces ne sont commandées qu'au début de la production du projet de machine. L'organisation est gérée du logiciel de GCVP au PGI, avec le système 3D par-dessus.
Un poisson visionnaire nageant dans des eaux agitées
Olivier Handsaeme. Date d'assemblage : 1970. Signe astrologique : Poissons. Les Poissons sont par nature des rêveurs, des visionnaires et des idéalistes. Mais ce poisson-ci parvient à nager dans des eaux agitées avec tout le sang-froid nécessaire. Ingénieur électricien de formation, O.H. a hélas peu de temps à consacrer à ses loisirs. Ses voyages sont rares, mais il essaye toutefois d'assouvir sa passion pour la technologie d'autrefois que l'on retrouve dans les voitures de collection, dont il possède déjà 13 exemplaires. À seulement 12 ans, il bricolait déjà sur une vieille Fiat 850. Et au fil des années, il a fini par se constituer une jolie collection, qui comprend aujourd'hui une 1100, une 500 Giardiniera, une 600 Multipla et une 850 Spider.
Avant de terminer notre expresso et de conclure notre entretien, O.H. me confie quelques réflexions sur son credo personnel et ses idées clés. En tant qu'entrepreneur, ne 'rien' faire n'est pas une option à l'heure où plus rien n'est jamais normal. Cela reviendrait en effet à faire marche arrière. Les erreurs – et même les échecs – font donc partie du chemin devant être parcouru. Et c'est donc toujours ce 'redémarrage' qui permet de se démarquer de la concurrence.
Juste encore deux bons conseils signés O.H. :